Que devient-on après avoir grandi dans des établissements de protection de l'enfance, lorsque l'on a 18, 20 ou 21 ans ?
Comment trouver ses marques, vivre sa propre vie, loin de l'institution protectrice ?
Pour des jeunes majeurs fragilisés par leur histoire familiale, placés parfois à plusieurs reprises, le chemin vers l'autonomie n'est pas encore gagné.
Partout en Europe occidentale, les jeunes entrent de plus en plus tardivement dans la vie active, prolongeant au domicile familial une transition plus ou moins longue de l’enfance vers l’âge adulte. Une situation entretenue par l’allongement des études, la pénurie d’emploi, les difficultés d’accès au logement et aussi par une plus grande tolérance des parents à laisser leurs enfants prolonger cette existence au foyer.
C’est le syndrome « Tanguy », illustré par le célèbre film d’Étienne Chatilliez en 2001. Dix ans plus tard, la crise aidant, le phénomène n’a cessé de s’accentuer.
Cette situation est bien étrangère aux jeunes majeurs qui sortent de la protection de l’enfance : ici, l’aide étatique s’arrête à 18 ans. À ces jeunes qui vivent dans des structures de placement, qui n’ont ni soutien familial, ni réseau, ni grands moyens, on demande de devenir autonomes plus vite que ceux qui bénéficient d’un environnement familial et financier sécurisant. Plus vite, ils doivent apprendre à gérer leur existence, se loger, travailler, devenir financièrement solvable, appréhender les démarches administratives et développer une stabilité affective. Certes, ces jeunes ne sont pas “lâchés” dans la nature sans préparation, ni soutien. Si quelques-uns, dès 18 ans, ont hâte de s’affranchir de toute contrainte, beaucoup d’autres entreprennent une formation, en étant soutenus et entourés par les institutions. Mais ce sursis utilement mis à profit, la question de l’autonomie se repose à 21 ans. Et ces jeunes majeurs qui n’ont pas toujours consolidé leurs projets doivent alors se confronter au marché du travail.
Or le chômage affecte particulièrement les jeunes : 25 % des actifs de la classe d’âge des 15-24 ans* sont au chômage. Les plus touchés étant les jeunes sortant sans qualification du système éducatif (160 000 par an) dont la moitié sont toujours sans emploi un an après leur sortie (contre seulement 10 % chez les diplômés**). De fait, les jeunes sortis de la protection de l’enfance ont souvent un bagage plus “léger”, handicap qui s’ajoute à l’absence de réseau et de soutien familial. Un constat mis en évidence par un récent rapport de l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED, 2009) qui rappelle à quel point ces jeunes cumulent « des facteurs de risque interdépendants au niveau sociétal, communautaire, familial et personnel (…) et risquent de rencontrer des problèmes de formation, d’insertion, de logement, de santé, de détresse psychologique, mais aussi d’identité et de citoyenneté. »
Dans ce contexte, le passage à l’âge adulte des jeunes qui sortent des dispositifs de protection de l’enfance est devenu une préoccupation majeure pour les acteurs de la protection de l’enfance, tant en France qu’en Europe. La Commission européenne finance, depuis 2007 (programme Progress), des actions pour l’insertion des jeunes. Des organismes internationaux se sont mobilisés sur ce sujet. En France, un Livre vert pour la jeunesse, soulignant les besoins spécifiques des jeunes sortant de la protection de l’enfance, a été publié en juillet 2009***. Cette problématique de la sortie des jeunes de la protection de l’enfance est aussi au cœur des préoccupations de la Fédération nationale des associations départementales d’entraide des personnes accueillies à la protection de l’enfance (FNADEPAPE) et en particulier de la Fondation Mouvement pour les Villages d’Enfants.
Les jeunes issus de la protection de l'enfance cumulent des facteurs de risques au niveau sociétal, familial et personnel.
Selon un rapport 2009 de l'Observatoire National de l'Enfance en Danger
Quelle formation suivre ? Comment engager une demande de Contrat Jeune Majeur ? Quelle aide solliciter ? Les jeunes sont sensibilisés très tôt à ce “passage”. Ils en connaissent l’enjeu : « Si mon projet ne tient pas la route, je risque de me retrouver à la rue. »De fait, de nombreux jeunes sortis des dispositifs de l’enfance se retrouvent au bout de quelques mois dans les Centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) inadaptés à leur situation. À la sortie (entre 18 et 21 ans), on peut estimer globalement qu’un tiers de ces jeunes va se retrouver dans la galère, un autre se débrouiller et un troisième tiers s’en sortir bien. Beaucoup auront encore besoin d’être écoutés, de bénéficier d’un coup de pouce, de trouver un adulte qui mette un peu “d’huile dans les rouages”. Une des difficultés majeures de la sortie, rappellent tous les éducateurs, c’est la poursuite d’un accompagnement psychologique. Car la plupart de ces adultes connaîtront toute leur vie une certaine fragilité. À 21 ans cette aide disparaît. Comment la poursuivre ?
Ce que les jeunes redoutent le plus, ce n'est pas tant l'autonomie que de se retrouver seuls. Rares sont d'ailleurs ceux qui réclament seulement une aide financière.
Dans 90 % des cas, c'est une demande d'accompagnement éducatif qu'ils formulent. Les professionnels de la protection de l'enfance s'interrogent légitimement sur la question de la "suite" : quels moyens et quelles statégies mettre en œuvre pour assurer un suivi à ces jeunes au sortir de l'institution, pour dans 6 mois, un an ou 5 ans ?
L’important, c’est que ces jeunes adultes sachent qu’il y a toujours quelqu’un sur qui compter, même après. Comme d’autres savent qu’ils peuvent toujours compter sur leurs parents. Aujourd’hui, après 21 ans ans, rien n’est prévu ! C’est pourquoi la Fondation MVE réfléchit à la création d’un service “Grands Jeunes”. « Pour un dernier coup de pouce, pour donner des conseils, apporter une aide financière, compenser les soutiens que ces jeunes ne peuvent pas obtenir de leur famille. »
Focus sur l'accompagnement des jeunes majeurs de la Fondation MVE
* Insee, chiffres de février 2011.
** Observatoire français des conjonctures économiques.
*** Commission de concertation sur la jeunesse présidée par Martin Hirsch.